Le reflet d’une souffrance collective

Saskia von Overbeck Ottino est médecin, psychiatre et pédopsychiatre, responsable du dispositif santé mentale migrants et éthnopsychanalyse (MEME), aux Hôpitaux universitaires de Genève. Pour elle, le suicide de jeune Alireza au foyer de l’Etoile n’est pas un drame isolé. Il reflète la détresse psychologique vécue par de nombreux autres jeunes arrivant pour demander l’asile en Suisse.

Qu’est-ce qui pousse un jeune migrant au suicide?

Saskia von Overbeck Ottino: S’il y a souvent un élément déclencheur, chez les jeunes migrants le geste survient généralement dans un contexte plurifactoriel, fait de précarité et de vulnérabilité. Parfois les gens pensent que parce qu’ils ont vécu des choses difficiles et traumatisantes, ces jeunes seraient plus résilients et plus mûrs que les jeunes d’ici. Bien au contraire, partis très jeunes de chez eux, ils n’ont souvent pas eu l’environnement stable nécessaire au bon développement de leur adolescence et au passage vers l’âge adulte. Ici, dans les moments difficiles, ils n’ont pas de parent, de proche à qui parler, et se sentent seuls face à leur souffrance. Je ne suis pas sûre qu’Alireza voulait vraiment mourir. Comme pour beaucoup de jeunes qui font une tentative de suicide, je pense qu’il souhaitait surtout que sa souffrance s’arrête.

Quelles sont les cause extérieures de cette souffrance?

Ce qu’a mis encore une fois en lumière ce drame, c’est que l’accueil ne peut pas se résumer à un hébergement avec un encadrement minimaliste. L’hébergement de masse, l’absence de vie communautaire, la réduction drastique du nombre d’éducateurs dès 18 ans, accentuent le sentiment de précarité et de vulnérabilité et peuvent pousser à bout. Ces conditions font aussi qu’il est beaucoup plus difficile de repérer et soutenir ceux qui vont mal.

De plus, du côté des lois de l’asile, les procédures administratives peuvent être violentes psychologiquement. Les auditions du Secrétariat d’état aux migrations (SEM), par exemple, sont souvent traumatisantes. Il faut raconter toute son histoire et revivre des choses difficiles, face à un interlocuteur dont le travail est de repérer des contradictions pour déceler des faux récits. Ne pas être cru et soutenu lorsqu’on a réellement vécu des violences extrêmes peut pousser au désespoir. De plus, les lettres de refus du SEM ou du Tribunal administratif fédéral ont un ton très sec: une violence de plus, inutile et difficile à comprendre.

Alireza avait tous juste 18 ans, c’était un facteur important?

À Genève les mineurs non accompagnés ont l’école obligatoire, un éducateur et un suivi par un curateur du Service pour la protection des mineurs. À 18 ans, tout change d’un coup: plus de curateur, peu d’accès à un assistant social. L’école est accessible, mais sur une base volontaire, laissant de fait de côté les plus vulnérables. Par ailleurs, le SEM continue à avoir recours à des pratiques très contestées par les spécialistes pour déterminer l’âge d’un jeune. Un mineur risque donc d’être «majorisé» et de perdre des précieux appuis. Les trois derniers migrants décédés étaient des jeunes majeurs. Ceci nous permet de penser que c’est là qu’il faut centrer les efforts pour leur assurer un meilleur avenir.

Un drame similaire peut-il se reproduire?

Le risque est toujours là, puisque les conditions environnementales restent précaires pour nombre de jeunes. De plus, un tel évènement peut résonner avec les détresses des autres et avoir un effet de contagion. C’est pourquoi les différents dispositifs atour de ces jeunes sont particulièrement vigilants actuellement.

Louis Viladent

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